La communauté Yira a commémoré ce 14 avril 2022, le 24ème triste anniversaire des massacres de Kikyo. Kikyo est une entité située à la sortie Nord de la ville de Butembo dans la province du Nord-Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo.
En effet, à 1998 des civils avaient été, les uns massacrés et les autres enterrés vivants par des militaires des Forces armées congolaises (FAC) autrement appelés « Katangais » à l’époque. Ces militaires vengeaient une énième attaque contre leur camp par des miliciens mai-mai. Des civils, les uns locuteurs du Kinande et les autres porteurs de tatouage n’importe lequel avaient été pris pour des miliciens, ce qui avait occasionné le pire (NDLR).
Vingt-quatre (24) ans après ces massacres que d’aucuns qualifient de crime contre l’humanité et de génocide, les populations rescapées continuent à exiger une justice équitable et réparatrice.
Jeudi à l’occasion de cette commémoration, Agoragrandslacs.net s’est entretenu avec maitre Billy Saghasa. Objectif, comprendre ce dont la communauté victime disposerait comme preuves et traces matérielles, 24 ans après ces massacres, sans procès.
Maitre Billy Saghasa, est un scientifique qui a mené des recherches suffisantes sur les massacres de Kikyo. Il publie en 2019, un livre sur cette situation : « Les massacres de Kikyo, Dénonciation d’une omission coupable » est le titre de cet ouvrage qui renseigne sur les circonstances dans lesquelles les populations avaient été massacrées et sur victimes elles-mêmes.
Au cours de l’entretien nous accordé, ce spécialiste du droit est tout d’abord revenu sur ce qu’il présente comme une menace, susceptible d’entraver la lutte pour la justice équitable dans ce dossier.
Il parle notamment d’une tendance à faire de ces massacres une marchandise politique par certains citoyens ainsi que du degré bas de prise de conscience face à la gravité de ces crimes, au sein de la communauté censée revendiquer réparation et justice. Ce qui fait, selon lui que la journée du 14 avril soit même méconnue de nombreux des membres de la communauté locale.
Ce doctorant en droit public de l’Université Catholique du Graben (UCG), redoute également que la communauté victime ne soit pas capable de prouver l’existence de ses membres massacrés. Une obstruction qui peut résulter du fait que celle-ci, plus de 20 ans après, n’ait pas obtenu des attestations de décès pour ses membres massacrés. Juridiquement, l’attestation de décès certifie la mort d’une personne.
« Si aujourd’hui on menait des enquêtes un peu plus approfondi, nous risquons de ne pas être à mesure de prouver qu’on avait perdu les gens ! Est-ce qu’il y a des attestations de décès qui ont déjà été délivré pour tout ce monde là qui était tué. Juridiquement on est mort que lorsqu’il y a l’attestation de décès » fait-il observer.
A ce stade, ce juriste estime que faute d’attestations de décès, la communauté victime, en cas de procès pourra présenter les rescapés comme témoins directs pour éclairer la justice. Egalement se servir des fosses communes parsemées à Kikyo et environs comme preuve matérielle.
Il déplore néanmoins que certaines de ces traces, dont les fosses communes soient entrain d’être systématiquement effacées.
« Il y a des faits qui sont plus clairs, vous comprenez, vous dites 24 ans, est ce qu’il y a encore des traces ? Mais on a tout fait pour effacer des traces ! Il ya des parcelles dans lesquelles il y a des cimetières au niveau même de Kikyo là bas, on a enterré beaucoup de gens là bas il y a des fosses communes identifiables, mais on est entrain de faire tout pour effacer les traces. Ce n’est qu’à Kitatumba où je n’ai vu qu’un seul lieu où il y a une croix à fer, je n’ai pas vu d’autres traces. A Kiriva là bas on connait que des papas ont été enterrés vivant » démontre maitre Billy Saghasa qui souhaite cependant qu’une justice hybride, dont la composition de la cour intègre des juges nationaux et internationaux, soit celle qui tranche dans cette affaire étant donné que parmi les auteurs desdits massacres figurent des non-nationaux, c’est-à-dire des étrangers qui se sentiraient dans un cas, moins concernés par le procès une fois tenu par une juridiction nationale.
En attendant que les cris de détresse des rescapés et autres victimes de cette situation désastreuse soient pris en compte par les autorités du pays afin que justice et réparation soient faites, le doctorant pense qu’il faut un éveil de la conscience collective et une synergie d’efforts pour qu’une base de données de ces massacres soit mise en place.
A l’en croire, ces données pourront permettre à la justice d’enquêter sur ces massacres plusieurs années après, en tenant compte du caractère imprescriptible des crimes internationaux.
« Nous devrions plutôt créer une base des données de ces massacres pour que s’il y a procès même cinquante ans (50 ans) plus tard qu’on soit à mesure de trouver à présenter devant les juridictions ».
Il encourage tout de même les acteurs tant sociaux que politiques de continuer à exercer une pression sur les institutions du pays et les instances judiciaires pour qu’un jour, les victimes de ces massacres obtiennent réparation.
En rappel, le jeudi 14 avril dernier, l’Association culturelle Kyaghanda Yira ville de Butembo a appelé à l’unité, toutes les communautés victimes des affres de la guerre qui sévissent depuis des années à l’Est de la RDC.
Le vice-président de cette structure regroupant les membres de la communauté Nande, M. Kambale Muhamba Maximin a estimé que seule l’unisson entre victimes, pourra briser l’inertie des autorités qui demeurent passives face aux instigateurs des massacres et autres crimes commis contre les civils dans cette partie du pays.
Didy