Les élites de l’industrie minière utilisent leur pouvoir pour protéger les entreprises, qui exportent d’énormes quantités de minéraux de contrebande hors d’Afrique centrale.
Mark Twain qui a écrit sur les voleurs et les escrocs dans le «Far West» américain, a dit de façon célèbre qu’une mine est un trou dans le sol avec un menteur au-dessus. S’il y a un pays où la maxime de Twain a une pertinence contemporaine, c’est le Rwanda. Au cours de la dernière décennie, le Rwanda s’est positionné comme un hub passionnant pour la production et le commerce des minéraux essentiels à l’économie mondiale, principalement le tantale, un métal qui stocke l’électricité et est utilisé pour fabriquer des téléphones portables, des objectifs d’appareil photo, des ordinateurs, des moteurs à réaction et des systèmes d’armes.
En 2018, le Rwanda était dit être devenu le premier producteur et exportateur mondial de tantale. À cette époque, les États-Unis importaient un étonnant 39 % de leur minerai de tantale et de leurs concentrés de ce petit pays d’Afrique centrale, bien plus que de tout autre, y compris de la République démocratique du Congo (RDC) voisine, dont les gisements minéraux de l’autre côté de la frontière n’ont jamais été remis en question. Au milieu des guerres de ressources du 21ème siècle, le tantale (un dérivé du minerai de coltan) est devenu l’un des minéraux les plus convoités stratégiquement par le complexe militaro-industriel de Washington. Il n’est plus possible pour les États-Unis de mener des batailles à l’étranger sans tantale. Mis à part le fait que le minéral était désormais un ingrédient clé des réacteurs nucléaires et des missiles Tomahawk, le tantale est également devenu un composant critique de l’armure du guerrier américain d’élite : il fait partie de la douzaine de métaux utilisés pour fabriquer l’équipement des forces spéciales de la marine américaine. Et pourtant, les États-Unis sont incapables de produire du tantale par eux-mêmes. Ils sont devenus de plus en plus dépendants de l’Afrique centrale, pour un approvisionnement stable et bon marché de ce produit de base.
Le Rwanda en apparence une nation stable et structurée, a été impatient de montrer qu’il est un fournisseur légitime des minéraux stratégiques. En 2018, la mine artisanale vitrine du Rwanda pour le public international était H&B Mining, dont les minéraux étaient exportés par Minerals supply Africa (MSA). Le Directeur général de MSA était David Bensusan, un citoyen britannique qui était connu comme le roi du commerce de Kigali. Pendant des décennies, Bensusan a exporté la part du lion des minéraux du Rwanda, se procurant et traitant les minéraux 3T – étain, tungstène et tantale pour le marché mondial.
Il était donc normal que l’association commerciale mondiale du tantale, le Tantalum niobium international study centre (TIC), tienne sa réunion générale annuelle à Kigali en octobre 2018. MSA (le véhicule d’exportation personnel de Bensusan) ainsi que H&B et le Conseil des mines, du pétrole et du gaz du gouvernement rwandais ont accueilli l’événement. La visite de la mine H&B dans la ville orientale de Rwamagana a été l’occasion pour une centaine de délégués miniers de voir de première main, la production de minerai de tantale et d’étain au Rwanda. En 2011, H&B est devenu membre de l’ITSCI, une initiative basée à Londres mise en place par l’industrie, pour étiqueter et tracer l’origine des minéraux dans le cadre d’efforts ostensibles pour endiguer la violence, les abus et les réseaux criminels associés à l’extraction minière en Afrique centrale. Il était généralement admis que les minéraux « ensachés et étiquetés » selon le système ITSCI, provenaient de mines qui n’utilisaient pas le travail des enfants et n’étaient pas exploitées par des groupes armés. Les minéraux étiquetés au Rwanda signifiaient qu’ils n’étaient pas passés en contrebande depuis la RDC. Après des années d’infliger des brutalités indicibles aux civils congolais afin de piller ses minéraux et autres ressources naturelles, le Rwanda voulait prouver aux étrangers qu’il pouvait mener ses affaires légalement et éthiquement, chez lui.
Mais peu après la conférence minière, le rideau est tombé sur H&B. La mine de tantale la plus importante du Rwanda a tranquillement cessé ses activités, sans explication, et les actifs miniers de H&B ont été vendus. Pour quiconque prêtait attention et connaissait l’exploitation minière rwandaise, la fermeture était une mesure de contrôle des dommages trop tardive et totalement logique. Pendant de nombreuses années, Bensusan et ses collègues rwandais avaient un contrat implicite avec les experts de l’industrie selon lequel, bien faire leur travail signifiait prétendre que les mines rwandaises produisaient des quantités croissantes de minéraux stratégiques (et que l’économie s’envolait). Un reportage de CNN a annoncé que le Rwanda avait exporté pour 800 millions de dollars américains, des minéraux en 2018. Ce chiffre provenait de l’Association du commerce international, une agence du département du commerce des États-Unis.
Un acteur de l’industrie minière qui travaille dans ce secteur depuis des décennies, m’a dit qu’il avait été curieux au sujet de H&B lorsqu’il était au Rwanda. Il est allé dans les petits tunnels de H&B pour voir comment ils travaillaient et ce qu’ils produisaient ; il a constaté qu’il n’y avait pas grand chose. H&B a été utilisé avec d’autres sociétés au Rwanda, pour blanchir des minéraux. « Les minéraux venaient de RDC et traversaient la frontière ». D’autres sources qui travaillaient dans la communauté minière rwandaise, m’ont dit que H&B avait longtemps été le village Potemkine de Bensusan qui cachait une fraude extensive. H&B n’était qu’une de nombreuses mines fictives où peu ou pas, des minéraux étaient réellement extraits. Les mines fictives sont utilisées par le gouvernement rwandais pour faciliter le trafic illicite des minéraux, pour convaincre la communauté internationale que les énormes quantités de minéraux 3T exportés, sont réellement produits au Rwanda.
L’empressement de la communauté internationale à cautionner le récit et la bouffonnerie commerciale du Rwanda a sans aucun doute, été utile au fil des ans. La chaîne d’approvisionnement mondiale en minéraux stratégiques a besoin d’être alimentée et le Rwanda est à ce jour, considéré comme un hub d’exportation facile et « sans conflit » pour les acheteurs en aval. L’ironie est qu’avant de mourir d’un cancer en 2021, Bensusan avait aidé le Rwanda à piller les minéraux de son voisin pendant près de deux décennies et demie. Il s’était régulièrement vanté d’avoir aidé à mettre en place le tristement célèbre Congo desk, un appareil militaire centralisé que le Rwanda a utilisé pour piller les ressources minérales congolaises de 1997 à 2003. Le Congo desk était un symbole douloureux du saccage d’une nation et de son peuple. Bensusan a travaillé avec le Général rwandais James Kabarebe et d’autres oligarques rwandais, pour amener les minéraux congolais au Rwanda et sur les marchés mondiaux. Kabarebe était commandant de la première invasion du Rwanda en RDC en 1996. Des enquêteurs de l’ONU l’ont récemment accusé, ainsi que plusieurs hauts responsables militaires rwandais, de coordonner les opérations d’une milice appelée M23, dont les membres ont violé et massacré des civils congolais dans l’Est du pays.
D’autres hommes d’affaires occidentaux ont été les principaux hommes de paille des oligarques militaires rwandais pendant les périodes sombres de violence en Afrique centrale. Chris Huber, un citoyen suisse ayant de multiples sociétés en Europe, en Asie et au Rwandavest connu pour être proche du Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir, dirigé par le président Paul Kagame. Ces dernières années, Huber a utilisé deux sociétés au Rwanda dont Tawotin et Rudniki, pour s’emparer d’un quart du marché d’exportation du coltan du Rwanda. Huber fait actuellement l’objet d’une enquête de la part des procureurs de Berne concernant ses liens commerciaux avec une milice soutenue par Kagame, qui a commis des crimes de guerre et pillé des ressources minérales pendant la deuxième guerre du Congo. En 2009, une enquête de l’ONU a fourni des preuves que Niotan, une société basée au Nevada liée à Huber avait acheté des minéraux provenant de zones de conflit et les avait vendus à d’importantes sociétés fabricant des condensateurs. Le directeur de Niotan était John Crawley, l’ancien président de l’association internationale du commerce du tantale. Pendant des décennies, Huber et son partenaire Crawley ont tiré parti de leurs relations avec des responsables rwandais et leurs alliés rebelles. En juin 2021, ces personnes ont été liées au trafic des minéraux du sanglant Rubaya dans le nord-est de la RDC, par l’achat de tantale par le biais d’une coopérative et d’un exportateur bien connus basés à Goma, le long de la frontière entre le Congo et le Rwanda. Ce qui semblait essentiel pour la capacité continue de Crawley à s’enrichir et à échapper à la loi était son rôle d’arbitre et de joueur de l’industrie. L’association mondiale du tantale de Crawley joue un rôle important dans le comité de gouvernance de l’ITSCI, le système mis en place pour étiqueter et tracer l’origine des minéraux sur lesquels l’OCDE, la Securities and Exchange Commission et les grandes entreprises technologiques s’appuient, pour évaluer si les minéraux sont exempts de conflit.
Bien qu’ayant été à plusieurs reprises désignés par l’ONU, Crawley et Huber n’ont jamais été sanctionnés. Pas plus que Bensusan ou l’un des oligarques rwandais avec qui il travaillait. Mais leur collaboration sacrilège avec la mascarade du système de marquage et d’étiquetage de l’ITSCI, a finalement été exposée en 2022 par l’organisation internationale Global Witness. Dans un rapport révolutionnaire basé sur un important travail de terrain dans les zones minières et des entretiens avec l’industrie et la société civile, Global Witness a trouvé des preuves que l’ITSCI avait été effectivement utilisé pour un blanchiment minéral massif, et que le système d’étiquetage était en fait, un moteur de la contrebande. L’ONG a également déclaré que le fait de mettre l’industrie en charge de la conception et de la supervision d’un système de diligence raisonnable dont ses membres étaient destinés à bénéficier, revenait à « mettre un renard en charge du poulailler ».
De loin, les preuves les plus accablantes qui émergent de Global Witness sont la façon dont les élites de l’industrie minière, à travers l’ITSCI, ont utilisé leur pouvoir année après année, pour protéger les entreprises exportant la plus grande quantité des minéraux de contrebande, et comment ces minéraux sont sans aucun doute entrés dans la chaîne d’approvisionnement mondiale. Trois sociétés rwandaises liées à Huber, ont exporté des minéraux apparemment passés en contrebande à la Malaysia smelting corporation (MSC) et à la East rise de Hong Kong dirigée par Crawley. La fonderie autrichienne Wolfram Bergbau und Hütten (WBH) a également été citée comme acheteur des sociétés de Huber. Hewlett-Packard a été répertoriée comme une marque utilisant MSC comme fournisseur, tandis que Nokia et Blackberry ont identifié WBH comme fonderie dans leur chaîne d’approvisionnement mondiale. Des entreprises d’électronique grand public comme Apple, Intel, Motorola, Samsung, Kyocera AVX et Kemet se sont également approvisionnées au Rwanda, malgré des avertissements apparents selon lesquels la plupart des minéraux vendus au Rwanda, étaient passés en contrebande depuis la RDC.
Que signifie tout cela pour nous ? En tant que citoyens du monde, nous savons maintenant que nous ne pouvons pas compter sur les gouvernements, les régulateurs de l’industrie ou les entreprises pour dire la vérité et assurer des pratiques d’approvisionnement responsables en minéraux. Il est donc difficile de savoir si les produits que nous tenons dans nos mains ont été une source de financement pour des groupes armés, des pratiques corrompues ou du travail forcé. Mais en tant que consommateurs, nous avons un certain pouvoir dans nos choix d’achat et les informations que nous partageons. Le Rwanda, dont les élites au pouvoir jouissent de l’impunité depuis près de trente ans, est le prédateur suprême dans la RDC riche en minéraux. Pourquoi notre argent devrait-il financer ces criminels ? Il est temps que les consommateurs exigent que la Big Tech retire le Rwanda et sa mafia occidentale de la chaîne d’approvisionnement en minéraux.
Article de Judi Rever publié le 25 septembre 2023 par le média en ligne Canadian Dimension_ et traduit en français par Nazali M Tatu