Le 28 juin 2024, après près d’un mois d’intenses combats, la cité stratégique de Kanyabayonga est tombée aux mains du Mouvement du 23 Mars (M23). Cette prise marque un tournant significatif dans la crise sécuritaire à l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont été contraintes de se retirer, laissant derrière elles, une ville qui ouvre désormais la voie vers le Grand Nord, une région jusqu’alors relativement épargnée par les activités du M23, mais bel et bien dans son viseur. Cette avancée soulève de sérieuses inquiétudes quant à une possible progression du groupe rebelle d’ici la fin de l’année vers Kisangani, la troisième plus grande ville du pays.
L’évolution de la stratégie du M23 est particulièrement frappante. Initialement focalisé sur la prise de Goma, le groupe a, avec le temps, réorienté ses efforts vers une expansion territoriale plus large. Plusieurs facteurs, 5 facteurs ,il faut le dire, expliquent ce changement de cap.
Premièrement, le verrou défensif autour de Goma s’est avéré particulièrement difficile à briser, les FARDC ayant considérablement renforcé leurs positions autour de la capitale provinciale notamment à Kibumba et à Sake, constituant un mur infranchissable pour le M23. En effet, c’est depuis début 2023 que le M23 menace sans succès de prendre Goma. Deuxièmement, même en cas de prise de la ville, contrairement aux autres localités et villages, le M23 aurait du mal à imposer son autorité face à la résistance de la population locale et des autres groupes armés, tous désormais repliés dans la ville.
Troisièmement, la prise de Goma risquerait de déclencher des violences urbaines incontrôlables, potentiellement sous forme d’attentats, qui nuiraient à l’image du M23. Quatrièmement, selon des sources proches du groupe rebelle, la présence présumée des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à Goma pourrait conduire à des tueries que le M23 souhaite éviter, craignant qu’ils ne lui soient attribués. Enfin, la chute de Goma provoquerait un afflux massif de réfugiés vers le Rwanda voisin, une situation que Kigali cherche à éviter pour des raisons de sécurité interne. En tout cas, pas avant les élections au Rwanda en juillet.
Face à ces défis, le M23 a ainsi opté pour une stratégie d’expansion territoriale vers le Nord et l’Ouest, cherchant à augmenter son poids politique et économique. Cette approche lui permet donc non seulement de financer ses opérations grâce aux taxes collectées dans les zones sous son occupation mais également, au contrôle de zones riches en ressources, comme Rubaya, et de se positionner comme un acteur incontournable dans toute future négociation.
Le gouvernement congolais, pour sa part, maintient une position ferme de non-négociation avec le M23, qu’il considère comme une organisation terroriste. Kinshasa continue d’accuser ouvertement le Rwanda de soutenir le groupe rebelle, une allégation que Kigali nie malgré les nombreux rapports d’experts de l’ONU, avec des preuves irréfutables à l’appui.
La situation sur le terrain reste extrêmement volatile. Les tactiques de ruse, diversion et de débordement employées par le M23 ont souvent pris de court les FARDC, mettant en lumière les défis auxquels font face les forces gouvernementales en termes de logistique et de coordination. La prise de Kanyabayonga, après un mois de préparation et de réorganisation, illustre parfaitement cette capacité du M23 à exploiter les faiblesses de ses adversaires.
Ngabiwele N. Tatu