Les congolais ont appris la prise de Kanyabayonga par le M23 le 29 juin 2024, marquant ainsi un tournant inquiétant dans le conflit qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo. Cette localité, située à environ 150 km de Goma est considérée comme la porte d’entrée du Grand-Nord, comprenant Lubero, Beni et Butembo.
Cette avancée soulève de nombreuses inquiétudes, notamment quant à une possible collaboration entre le M23 et les ADF, un groupe terroriste qui sème la terreur dans la région de Beni, depuis des années.
Cette situation se complexifierait davantage avec la présence de l’armée ougandaise (UPDF), qui mène depuis Novembre 2021, des opérations conjointes (Opération Shujaa) avec les FARDC pour traquer les ADF. Paradoxalement, l’Ouganda est accusé par certaines sources notamment le dernier rapport des experts de l’ONU, de soutenir le M23, jetant un doute sur son rôle réel dans la région.
Face à cette progression du M23, plusieurs scénarios se dessinent. L’UPDF pourrait choisir la confrontation directe, démontrant ainsi sa loyauté envers la RDC. À l’inverse, une non-intervention renforcerait les soupçons de collusion, mettant en péril la coopération avec les FARDC. Une troisième voie verrait l’UPDF tenter une médiation entre le M23 et les autorités congolaises.
La rencontre potentielle entre le M23 et les ADF soulève également des questions. Un affrontement entre ces deux groupes pourrait offrir une opportunité aux FARDC, tandis qu’une alliance tactique compliquerait considérablement la tâche des forces gouvernementales. Une coexistence pacifique entre ces groupes (ADF-M23) n’est pas non plus à exclure, tant qu’il s’agit de faire mal au gouvernement congolais. Toutefois, l’étiquette qui colle aux ADF (de même que leur modus operandi) comparativement à la ligne de conduite et la philosophie du M23 soulève des doutes, quant à une possible collaboration. Seul le temps nous le dira.
L’Ouganda se trouve ainsi dans une délicate posture. Dans une éventualité où le mandat actuel de l’UPDF ne se limite qu’à la lutte contre les ADF, il est impératif que le gouvernement congolais pense déjà à la redéfinition de celle-ci, dans le sens d’une confrontation directe contre le M23. Il est également important de rappeler que l’intervention ougandaise en RDC dans le cadre de l’Opération Shujaa est justifiée par les attentats des ADF sur le sol ougandais. Et c’est suite à une demande du gouvernement ougandais auprès du gouvernement congolais, que l’opération a été initiée.
Pour quiconque suit avec attention la situation sécuritaire en RDC, un fait frappant est que les enjeux économiques en toile de fond complexifient la situation. En effet, la résurgence du M23 coïncide très curieusement avec l’annonce de projets routiers financés par l’Ouganda. Ces projets ont été perçus comme une menace par le Rwanda, qui craint de voir son rôle de transit diminuer.
Chaque jour, les congolais vont à Kampala/Ouganda en passant par le Rwanda. Ils empruntent des bus qui paient des taxes au gouvernement rwandais. Imaginons donc le manque à gagner si minime soit-il. Cette configuration est à la base justement de la résurgence du M23 qui selon les rapports des experts de l’ONU, est soutenu par le Rwanda. Ceci justifie cela. Devrait-on craindre un nouveau chapitre de la rivalité Ouganda-Rwanda sur le sol congolais ?
Face à ce défi, les FARDC disposent de plusieurs options stratégiques. Elles pourraient tester la loyauté de l’UPDF en proposant des opérations conjointes contre le M23, tout en renforçant leurs propres capacités opérationnelles. Une intensification des efforts diplomatiques et une collaboration accrue avec la MONUSCO sont également envisageables.
Les implications à long terme de cette crise sont considérables. La réaction de l’UPDF face au M23 sera scrutée par la communauté internationale, pouvant renforcer ou affaiblir la position de l’Ouganda en tant que partenaire régional fiable.
L’avenir de la RDC dépendra en grande partie de la gestion de cette crise par les FARDC. Une approche combinant diplomatie, renforcement militaire et coopération internationale pourrait ouvrir la voie à une résolution durable. En revanche, un échec pourrait conduire à une fragmentation accrue du pays et à une instabilité régionale prolongée.
Les semaines à venir seront cruciales pour l’avenir de la région de Grands Lacs. La communauté internationale et les acteurs régionaux devront redoubler d’efforts pour trouver une solution durable à ce conflit. Le temps nous dira si le Rwanda et l’Ouganda s’affronteront à nouveau sur le sol congolais, comme en 1998, ou si une nouvelle dynamique régionale émergera de cette crise. Dans ce jeu d’échecs géopolitiques, chaque mouvement compte, et les conséquences pour la population congolaise et la stabilité régionale sont immenses.
Ngabiwele M. T.