Le 22e anniversaire du décès de Monseigneur Emmanuel Kataliko a été commémoré ce mardi 04 octobre 2022.
Contexte
Emmanuel Kataliko est né en 1932 dans le territoire de Lubero, dans l’est de la RD-Congo, dans une pieuse famille de planteurs de bananes. Il a été ordonné prêtre en 1958 à Rome et nommé évêque de Butembo-Beni en 1966. Il y est resté 31 ans avant d’être nommé, le 22 avril 1997, archevêque de Bukavu. Mais les trois ans qu’il va passer à la tête de ce nouveau diocèse ne seront pas de tout repos. AGORAGRANDSLACS.NET vous fait revivre l’une de ses lettres qui prouvent en suffisance son combat contre l’occupation de la République Démocratique du Congo par des étrangers.
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A Son Excellence Mgr Faustin Ngabu
Objet : Réponse aux messages me transmis par Son Excellence Mgr Ngabu
Excellence Monseigneur,
Veuillez me permettre, cher confrère, de vous livrer ces quelques impressions après votre visite inattendue du vendredi 10 mars 2000, dans mon lieu de refuge forcé au Diocèse de Butembo-Béni.
Comme vous l’auriez sans doute constaté, j’en étais fort réconforté, me souvenant que celui qui visite un prisonnier ou un malade répond, donne un visage à l’amour de Dieu, selon l’appel de Mt25 qui devrait toujours être la mesure de nos actes quotidiens, le schéma essentiel de notre examen de conscience…
Ce dernier temps, vous le devinez bien, je suis amené à méditer la vie que mena, pendant quelque temps, Jésus, fuyant ses ennemis, peu avant son arrestation. Jésus préférait ne point parcourir la Judée où les Juifs cherchaient à le faire périr (Jn7, 11, 54, 57, 12, 36). J’essaie d’imaginer ce que fut ses sentiments pendant cette période où, traqué, il sait que, s’il vient à être repéré, l’issue sera fatale. Vieille histoire, dira-t-on. Pourtant, hélas, c’est devenu relativement facile aujourd’hui, d’être exclu ou conduit à l’exil, même dans son propre pays.
A mon retour de Kinshasa, où j’étais parti participer au Commit Permanent des Évêques de la République Démocratique du Congo, session du 31 janvier au 5 février 2000 à laquelle vous n’avez pas pris part, j’étais rentré par Goma, via Nairobi-Entebbe, le 12 février 2000. Comme d’autres passagers en transit pour Bukavu, je n’étais pas sorti de l’aéronef. Les services de sécurité avaient demandé nos cartes d’identité. A ma grande surprise, mes papiers étaient retenus, sans explication. Quelques instants après, notre avion était entouré de militaires rwandais dans une jeep et de militaires congolais sous le commandement d’un certain Chapulu. Le personnel de TMK me fit savoir l’énervement des autorités en place exigeant qu’on me remette soit à Entebbe soit à Nairobi. J’avais compris mon sort, je préférais retourner dans mon diocèse d’origine où je me trouve jusqu’à aujourd’hui.
Excellence, je suis quelque peu forcé à cet éloignement, c’est, je l’espère bien, à cause de mon « Message de Noël 1999 » aux chrétiens de mon archidiocèse, dont maintenant l’opinion internationale est saisi et qui n’a rien d’incendiaire. N’en déplaise à ceux qui lui prêtent des intentions diaboliques, c’est un message d’espérance qui en appelle à la conversion de tous pour voir en face nos malheurs, pour sortir du marasme soicio-politique qui nous plonge dans la misère sans nom qui ne fait que s’aggraver. Au moins pour ceux qui auront lu ce message sans parti pris idéologique, ils conviendront avec moi qu’il va dans le même sens que celui de l’Assemblée de l’ACEAC à Nairobi : « Vous êtes tous des frères » (Mt23,8) : arrêtez les guerres! (du 12 au 15 novembre 1999). A ma connaissance, aucun des évêques signataires de ce dernier n’a été taxé de tribaliste ou d’obstacle à la réconciliation nationale.
Curieusement, dans le message me transmis, par votre méditation, de la part de M. le Président Ilunga, branche RCD/Goma, l’aspect de conversion et de réconciliation attendu de mon message, a été occulté. Quel rapport direct établir entre ce message élaboré dans un contexte précis d’un peuple écrasé, meurtri et humilié pour des mobiles idéologiques nébuleux et mon passé comme ancien pasteur de Butembo-Béni? L’essentiel des messages me transmis et que vous avez eu la bonne diligence de me répercuter, consiste, preuves à l’appui que « Mgr Emmanuel Kataliko, Archevêque de Bukavu, précédemment Évêque du Diocèse de Butembo-Béni, constitue un obstacle majeur à la réconciliation nationale et au règlement des conflits interethniques, dans la mesure où il se pose comme le héraut du refus de la cohabitation pacifique entre les ethnies du Kivu, composantes de la Communauté Nationale Congolaise » (Rapport vous transmis, p.2)…
Les informateurs du RCD/Goma m’accusent de tribaliste, entre autre, pour avoir transféré le siège épiscopal de Béni à Butembo…
Pour terminer cette plaidoirie déjà assez longue, je voudrais inviter les informateurs du RCD/Goma, auxquels je pardonne de tout cœur, de ne pas tordre la réalité pour se façonner des ennemis supposés.
Permettez, Excellence, que j’ajoute un mot sur la réalité pastorale de l’Archidiocèse de Bukavu. J’estime que la rencontre détendue du 8 mars 2000 que vous avez eue avec mon Vicaire Général, Mgr Gwamuhanya, après votre retour de Kigali, avait été suffisamment explicite pour dissiper les malentendus. De tout ce qui précède, je voudrais que nous aidions nos chrétiens et compatriotes des zones embrasées par des conflits meurtriers à plus de solidarité pour combattre la culture du chantage, de la diabolisation, du mensonge qui ne peut que générer la paralysie déjà longue de notre tissu social. Notre mission commune est de rappeler sans cesse ce commandement : « Vous êtes tous des frères : arrêtez les guerres ». « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn13,34). Quel programme d’action pastorale en ces temps difficiles!
Veuillez agréer, Excellence Monseigneur, l’expression de ma plus profonde communion. Union de prières.
Fait à Butembo, le 14 mars 2000.
Mgr KATALIKO
La Rédaction